dimanche 14 février 2010

Jean-René Lemoine: « Haïti, terre de force et de douleur

Jean-René Lemoine: « Haïti, terre de force et de douleur »
4 février 2010 - Publié sur le site PELERIN.INFO – BLOG CULTURE
http://culture.blog.pelerin.info/web/jean-rene-lemoine-haiti-terre-de-force-et-de-douleur/

- Haïti, pour vous, c’est…
Haïti est un pays avec lequel je nourris un rapport très particulier. J’y suis né, mais n’y ai jamais vécu. Il cristallise en moi beaucoup de choses, à la fois des peurs et des désirs. C’est une terre d’une grande force et d’une grande douleur, et cela même avant le tremblement de terre. La misère est là, il est vrai, depuis longtemps. On peut choisir de ne voir qu’elle. Mais c’est occulter la joie et la rage de vivre d’un peuple, sa dignité, sa capacité à tout transfigurer.

C’est un pays qui a été tenu à l’écart du monde, qui n’est entré ni dans la mondialité, ni dans la mondialisation. Il souffre terriblement de son isolement, et paradoxalement cette singularité l’a protégé du néo-colonialisme des esprits qu’est la mondialisation. C’est une liberté payée très cher, mais il faut la mettre en exergue : il n’y avait pas d’enseignes Zara ou HM, pas de Mac Donald’s en Haïti, ce qui est assez inouï. Car il n’y avait pas de consommateurs pour cela. Il n’y a donc pas encore eu de nivellement de la pensée haïtienne. Je ne fais pas l’apologie d’une pauvreté qui serait le rempart contre la globalisation. Loin de là mon propos.

Je constate qu’il y a une identité unique en Haïti. C’est peut-être pour ça que tant d’étrangers sont tombés sous le charme. Il n’y a pas d’agressivité à l’égard de l’autre. Pas de ressentiment pour celui qui arrive du « Nord ». On l’accueille et, s’il entre en relation, on accepte la relation. Cette terre depuis longtemps blessée, s’est perpétuellement raccommodée pour pouvoir survivre. Mais sans doute ces fragiles pansements posés de manière anarchique étaient autant de plaies qui se sont rouvertes brutalement avec le tremblement de terre. Mais si les villes sont détruites, tout comme un corps déjà malade terrassé par une attaque, il me semble que l’âme est toujours là, ébranlée, inquiète, mais intacte. On l’a vu dans les élans de solidarité.

On a vu les gens se réunir et chanter. La capacité de résilience de ce peuple, sa relation au spirituel, son humanité sont remarquables. Ce bout de terre, abandonné du monde, que beaucoup découvrent seulement maintenant à l’occasion de la catastrophe, était et est toujours en relation avec les choses essentielles de la vie, avec le sacré. Cela en fait un lieu unique.

- Quel rôle les artistes et la culture ont-ils à jouer, dans la reconstruction ?
Il s’agit ici de reconstruire, mais aussi de construire, tout simplement, ce qui n’existait pas. Mais il faut être vigilant. Ce pays, je le répète, a une âme, forte, intacte. C’est là que les artistes, que la culture, peuvent être essentiels. Vous dire comment, à l’instant même, je ne sais pas. L’instant est encore à l’urgence. Mais la reconstruction devra être pensée, mûrie par les gens qui sont là-bas, ou ici, dans le respect d’un lieu, dans le respect des gens. Et les artistes peuvent accompagner, participer à cette action-réflexion. Cela aussi est important.
Personnellement j’essaie de changer le regard qu’on porte ici sur Haïti. Je me refuse d’être à la place exotique où l’on a encore tendance à me mettre. J’aimerais faire comprendre aussi que ce pays d’exode a façonné des Haïtiens très différents et que cela est une richesse qu’il faut aussi prendre en compte.
Il me semble aussi important de dire une parole de deuil, car dire le deuil c’est déjà reconstruire. On ne l’a pas encore fait. Les gens ont besoin de mots pour leur souffrance et l’urgence dans laquelle nous nous trouvons n’a pas encore permis cela.

Il faut laisser un espace aux larmes, au cri.

Il faut donner une sépulture symbolique à ces morts qui ont été jetés dans la fosse commune, une respiration aux vivants, aux survivants qui vont devoir faire face à cette immense solitude de n’avoir même pas une tombe pour se recueillir. Est-ce que les mots peuvent faire cela ? Je ne peux pas répondre. Je sais qu’il faut les dire, envers et contre tout. Et s’ils peuvent être l’étreinte qui permet le sanglot, qui permet au vivant de ne pas mourir à l’intérieur sous le choc de l’horreur, alors, c’est bien. Haïti, est, tout comme la Grèce antique, un pays de mythologies. La Grèce a su composer son chant pour dire l’indicible. Il faudra bien qu’une parole dise un jour l’innommable qui a eu lieu à Port-au-Prince, à Jacmel et dans d’autres villes. Je sais que des écrivains diront, raconteront ce qui s’est passé.

- Etes vous confiants dans l’avenir de l’île?
Un espoir exemplaire s’est levé dans cette île de la Caraïbe J’entends par « espoir exemplaire » la possibilité pour le monde de transformer l’exemple d’Haïti. Après la « mort » vient la renaissance. Peut-on aider ce pays à renaître et à vivre réellement. Peut-il devenir à nouveau un symbole ? Alors que tant de pays glissent dans le gouffre, face à un occident repu, aura-t-on le courage de se dire qu’on va faire là quelque chose d’autre, qu’on va créer un précédent ? On abandonnerait enfin le paternalisme de la pensée coloniale, pour une notion d’aide, de partage, de respect et d’écoute. Tout cela serait exemplaire.
Suis-je confiant dans l’avenir de l’île ? J’entends là-bas des voix qui s’élèvent pour dire : faisons attention, ne rafistolons pas, guérissons. J’ai confiance en ces voix. J’ai confiance dans les personnes. J’espère seulement qu’elles seront entendues et aidées.

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