vendredi 15 janvier 2010

temoignage de Jean-Claude Bajeux - Liberation

«Comme si une puissance souterraine avait décidé de nous rayer de la carte»
témoignage
Jean-Claude Bajeux, responsable d'une ONG des droits de l'homme de Port-au-Prince, livre, pour Libération, un témoignage bouleversant sur la catastrophe qui a frappé Haïti.
      

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Recueilli par Christian Lionet et Christian Losson 

Jean-Claude Bajeux est directeur du Centre Œcuménique des Droits Humains, à Port-au-Prince.

«Mardi 12 janvier. 16h50. Le grondement que je venais d’entendre me ramenait 70 ans en arrière, à cette classe de huitième où je me trouvais. Tout le monde avait immédiatement plongé dans la cour. Maintenant, au haut de Pétion-Ville, comme il y a plus d’un demi-siècle, le silence était total avant que commence subitement dans les rues adjacentes le bruit de milliers de pas, le concert des cris et des questions, la grande rumeur produite par trois millions de citadins, saisis par le phénomène. Sur le morne grimpe un nuage blanc qui commençait à nous entourer: la poussière. Sur la route de Peggy-Ville. des deux côtés de la rue, un fleuve de piétons, marche avec cette cadence spéciale sautillante et concentrée qui n’est pas celle de la promenade pendant que, ahuris, nous considérons des deux côtés, des immeubles écroulés et les corps des morts et des blessés.
 
Impossible d’accéder à la maison. Toute la clôture est étalée, comme un tapis de parpaings, dans la rue, avec un enchevêtrement de végétation, de poteaux et de fils électriques. Depuis lors, nous avons appris par bribes l’ampleur de la catastrophe. Ce que nous voyons là, se répète partout. Tout le monde est dans la rue, la foule campe dans tous les espaces vides, les rues s’il le faut. La famine commence à se faire sentir. Le carburant se fait rare. Pas d'électricité. Des milliers de cadavres sont alignés. C’est le pire séisme depuis trois siècles.
 
Les communications sont coupées et reprennent ce jeudi, de façon intermittente. Tout le monde essaie d’obéir à la consigne de dormir en plein air, dans la rue s’il le faut, hors des maisons devenus menaçantes. Maintenant au bout de 48 heures, la réalité s’impose. L’horreur se voudrait banale. Impuissance et solidarité. Après les cris, les larmes, les chants dans la nuit, dans tous les quartiers, l’ampleur du désastre oblige à se taire.
 
 La quantité de cadavres est confondante. Ils sont alignés partout le long des rues. La liste de ceux que nous connaissons qui, hier encore, participaient à nos réunions s’allonge. Dans notre voisinage, plus d’une trentaine de cadavres attendent qu’on les ramasse. Et la liste continue, continue... L’eau se fait rare. Il y a partout des blessés. Comment nourrir et soigner tout ce monde, qui organisera de tels services ?
 
 Tous les grands immeubles, à commencer par le palais national, les administrations de l’Etat, les églises, les banques, les hôtels, les écoles, tous se sont écroulés. Comme s’ils s’asseyaient sur leurs étages inférieurs. Cela s’est passé en quelques minutes. Laissant des milliers de personnes sous les gravats dont certains meurent parce que personne n’était là pour les libérer. Cela fait 10 ans que nous accumulons des catastrophes mais celle-ci a l’air d’un coup de grâce comme si une puissance souterraine avait décidé de nous rayer de la carte du monde.»

2 commentaires:

  1. Chere Jean-Claude

    Je suis ravi de te retrouver ici -- en vie -- et je repasse ta liste et tes message a mon blog. www.haitivox.com.

    Quel horreur absolut que tu -- que tous le monde -- a connue Mardi. Je pense a toi - et a vous tous - fort.

    Tiens moi au courant des nouvelles de ton cote. Mon email: talktothefuture@gmail.com

    Je suis en train d'aider Gheskio, et je vais me concentrer sur les orphenlins. J'espere que tu pourras m'aider avec le nouvelles selons que tu entends quelque chose.

    Big hug,
    Anne-christine (d'Adesky)
    talktothefuture@gmail.com

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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